Scène française

Marc Lavoine

Marc Lavoine en interview

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Marc Lavoine est de retour avec un nouvel album baptisé « Volume 10 », pour l’occasion Zikeo est parti à la rencontre de l’homme aux yeux revolver.

Cette pochette nous interpelle un peu. Je pensais à un film de Jacques Deray, du genre « La Piscine », avec Romy Schneider et Alain Delon. Ce n’est pas tout à fait ça mais c’est référencé dans le passé non ?
Oui. L’architecture de la maison date des années 70s, ça s’appelle Blue Jewel, c’est la maison de George Harrison. Je l’ai loué par hasard. Ils ne devaient pas me la louer, parce qu’elle devait être louée pour trois mois et moi je ne la voulais que pour un mois ou deux. On avait pris une autre maison, qui ne me plaisait pas du tout. Alors on est arrivé là, on a posé nos bagages, et c’était magnifique. Il y avait le clavier de Georges Harrisson dans la maison, qui est resté même lorsque la maison a été vendue. Le clavier dépend de la maison. J’ai joué dessus sur un des films de Mona Khun. Ça a conditionné beaucoup de choses pour moi. Je me suis allongé dans cette maison. Ça m’a permis de faire l’album dans des conditions merveilleuses, détendues et spirituelles. C’est une maison dans laquelle il y a beaucoup d’ondes douces, et feutrées, comme les pas d’un chat qui ronronne, vifs, rapides et en même temps très délicats. Ça m’a beaucoup plu. On a travaillé cet album d’une manière un peu passéiste. On l’a fait en vinyle, en analogique… Mais moi je ne crois pas que cela fasse partie du passé. Je pense qu’un arbre est moderne.

Qu’est-ce qui a été le point de départ ? Une chanson a déclenché tout ça ?
C’est la chanson sur mon père. Quand mon fils Roman est né, malheureusement, mon père est parti. Ça a été un choc. C’est comme si tu sortais d’un endroit, et tu ne sais plus où tu as garé ta voiture. Tu es perdu. Quand tu es perdu, tu rappelles un peu la famille. J’ai rappelé Fabrice Aboulker, qui avait écrit avec moi mes premières chansons des Yeux révolver à Paris. On ne s’était jamais quitté mais on n’avait plus fait de chansons. C’était important de repartir avec lui et c’est avec lui que j’ai redémarré l’album, avec la chanson Reviens mon amour. On a fait 25 chansons, je suis rentré, et j’ai appelé Christophe Cazenave, qui a écrit la musique de Toi mon amour. J’avais décidé de ne faire que les textes sur cet album. Ensuite j’ai rencontré Bertrand Burgalat, chez Jean-Charles Castelbajac, dans le Gers. Je vis dans le Gers. J’avais vu Bertrand parler de cinéma à la télé. Il avait cité tous mes films de référence, « Les fanfarons », « Rocco et ses frères »… Je l’avais trouvé très intelligent, très sensible, et très gentil. Je lui ai tout de suite demandé s’il voulait travailler avec moi.

Qu’a t-il répondu ?
Il m’a dit oui. Ensuite, je suis allé voir mon parrain, Julien Clerc, pour savoir s’il avait envie, après 20 ans d’amitié, de faire une chanson avec moi. C’est comme ça que les choses se sont construites. En travaillant avec eux, j’ai compris qu’il y avait quelque chose de très artisanale dans notre façon de faire. Comme je faisais en même temps le film de Tony Gatlif, « Liberté », j’avais mis un terme à cette idée d’aller vite, il fallait aller profond. Avec Tony, c’était un film « Colin Maillard », sans scénario, il me disait toujours « je te le donnerai la semaine prochaine » et ça a duré un an. Je n’ai jamais eu de scénario. On a fait un film super, que je n’ai pas vu, mais le faire était extraordinaire, comme de travailler avec Marie Josée Croze et James Thiérée. Ça m’a donné une rigueur de travail, et le gout de « faire le chemin ». Le numérique nous a habitué à aller vite au résultat, on appuie sur le bouton et c’est bon. J’avais envie de faire ce marathon, du départ jusqu’à l’arrivée.

Mais que t’a vraiment apporté Tony ?
Tony a changé un peu ma façon de voir les choses. Il faisait la musique en même temps que le film, ce qui est assez rare. Parfois on jouait des scènes musicales, avec une rythmique. J’ai vite appelé mes camarades, je leur ai dit que j’aimerais que l’on voyage pour faire ce disque. Ça fait 10 ans qu’on travaille ensemble, on a fait beaucoup de chansons à Paris. J’avais peur qu’on soit complexé, qu’on s’empêche des choses, qu’on soit trop vertical. J’avais envie d’allonger les choses, d’aller dans une ville plus longue, avec plus d’espace, des références plus hautes, plus larges que nous. J’avais envie qu’on travaille en analogique. Ils m’ont dit OK. On a racheté des instruments des années 70, tout un tas de claviers, et on a appelé trois musiciens, un Français, un Anglais et un Américain. Pete Thomas, le batteur de Costello avec qui François de la Bruyère avait l’habitude de travailler, Freddy Koella, le guitariste de Bob Dylan et de Cabrel, et Davy, un bassiste. Puis on a ouvert l’atelier du travail. Avec la console de son et les musiciens, on s’est mis à répéter encore et encore, comme sur scène.

Les textes étaient déjà faits ?
Oui, ainsi que les musiques. Mais on n’écoutait pas les maquettes, on répétait, on cherchait la couleur de l’album. C’est en cherchant qu’on a fini par les enregistrer. C’était un travail non stop de respiration musicale. Je chantais en même temps, et on faisait une prise à chaque fois. Ça a été un grand plaisir que de retrouver ce travail là, qui est très rare maintenant en studio. Ça me plait de l’avoir fait comme ça.

Il y a comme une sérénité dans les chansons, un ton déclamatoire, du slam…
Ce n’est pas vraiment du slam.

Mais c’est référence années 70, Alain Delon… Joe Dassin, Serge Gainsbourg
Il y a des chansons qui méritent que l’on parle dessus. Mais ce que j’aime, c’est parler et chanter. En général, dans le rap, ils rappent et une chanteuse chante le refrain. Moi je fais tout, je parle et je chante, en suivant l’harmonie. Même quand je parle, sur Les rêves américains, ou la chanson de Bertrand Burgalat Les dunes blanches, ou la chanson de Fabrice Reviens mon amour, je parle dans une certaine tonalité qui rejoint l’harmonie. C’est du travail ! Ça se fait avec le compositeur, au moment où la chanson se fait. Toutes les chansons, je les ai faites face à face avec le compositeur. J’arrive avec trois ou quatre mots, j’ai mes petites fiches, et quand la musique correspond aux mots, je sors la fiche et je continue la chanson. L’idée est d’arriver devant le micro sans papier, sans texte. Si tu te souviens de la chanson quand tu la chantes, c’est qu’elle n’est pas si mal que ça. Si tu as oublié quelques phrases, que tu ne sais plus comment commence le truc, où se termine la mélodie… la chanson ne résiste pas. La seule chanson que j’ai faite à distance et celle avec Lulu, parce qu’il était à Boston. De toute façon, on avait décidé de faire une chanson sur l’absence.

Lulu Gainsbourg ?
Oui, un lien qu’on a avec Vincent, Aboulker, Lulu et moi, on a tous perdu notre papa. C’est un lien fort entre les compositeurs. Lulu est le plus jeune d’entre nous, mais il est plus âgé en tant que compositeur qu’en tant qu’homme. Il a une façon de composer de quelqu’un qui est plus vieux que lui, qui a plus d’expérience.

Il s’agit des gènes du papa ? On retrouve quelque chose ?

Je n’en sais rien. C’est une question que lui se pose mais moi pas. J’ai rencontré sa maman, j’ai travaillé avec Bambou. Je faisais une chanson avec lui comme si c’était avec Bertrand, Julien… Je ne me suis pas posé la question de son nom de famille. C’est aujourd’hui que je m’en rends compte. C’est un peu plus lourd à porter que je ne le pensais. J’imagine que c’est lourd à porter pour lui. Je ne me suis pas compliqué la vie avec ça. Il a le talent qu’il a. Il y a des gens qui ont du talent, d’autre qui n’en ont pas, c’est un peu la loterie. Certains ont des parents plombiers ou facteurs et deviennent des acteurs de cinéma, ou des écrivains. Il n’y a pas de règles. C’est transversal. On peut naitre dans une famille fortunée et devenir un très grand écrivain. Jacques Brel n’était pas d’une famille de pauvres. La vie qu’on mène est une décision à prendre tous les jours. Le malheur et le bonheur sont partout, ainsi que le talent. Lulu est étonnant. Il m’a envoyé une musique… C’est simple, quand une musique arrive chez moi et que dans les minutes qui suivent, je n’ai pas une idée… C’est comme un scénario, dès les premières pages tu sais… Tony me racontait l’histoire donc je n’avais pas besoin de scénario. Il me la racontait, en me disant qu’on se verrait la semaine prochaine… J’ai fait une chanson qui s’appelle La semaine prochaine. C’est le mystère, le charme et le désir. A l’époque où on peut tout avoir tout de suite avec un clic, savoir tout, le faux et le vrai, c’est bien de prendre son temps, d’aller un peu plus lentement. Quand on est amoureux d’une femme, on ralentit le pas, on ne marche pas vite. On va doucement et on économise les mots, on dit des choses minimales, qui veulent dire beaucoup de choses. Moi je suis amoureux, j’avais vraiment envie de ralentir, de prendre le temps, de perdre un peu du temps.

Pour faire référence au vinyle, tu as creusé le micro sillon ? Il y a une vraie intimité dans cet album.
J’ai toujours essayé d’être plus proche de ma vie, mais plus ça va et plus ça se mélange. Ma peau devient moins résistante. Je pleure plus facilement, je suis heureux plus facilement.

Ça a été facile de faire une chanson sur ton père ?
Je ne me suis pas rendu compte. Tous les textes sont sortis comme ça, je n’ai pas fait d’efforts. Je les avais déjà écrits. Ça fait quatre ans que je n’avais pas écrit de chansons. J’ai fait des musiques pour Gérard. Marc Esposito et Pierre Palmade ont fait les textes. Je ne me suis pas investi dans la littérature du disque de Gérard. Dans le mien, je n’ai fait que les textes. Ce sont des conversations que j’ai eues avec mon épouse, des amis, des choses que j’ai vues et que j’ai vécues et qui sont ressorties. C’est comme quand tu as trop bu.

C’est presque une écriture automatique ?
Evidemment, je cherche un peu la forme. Mais on trouve toujours les mots quand on aime quelqu’un. Je continue à faire ce métier pour aimer les gens, donc j’essaie de trouver les mots pour le leur dire. Je ressens peut être la même chose qu’eux. Une copine m’a invité à chanter pour la mort de sa maman, dans l’église. Elle m’a demandé de chanter Chère amie. Quand tu vas jusque là, ça veut vraiment dire que les chansons peuvent accompagner les gens dans des épreuves difficiles comme dans des joies. La question se posait, à savoir si je devais continuer à faire des chansons ou pas. Est-ce que le fromage qu’on me propose, qui ressemble à tous ceux d’à côté, est celui que j’ai envie de manger ? Non, je veux aller dans un petit marché bio, chez un paysan, pour trouver le fromage qui me plait, qui est un peu biscornu. C’est celui là je l’aime. C’est ça que je voulais faire comme métier. Je ne voulais pas entrer dans un système où j’allais faire un faux making of, un faux blog, faire semblant de me tromper… Il y en marre de tout ça. Faire semblant de jouer, chanter en play back… C’est fini, je n’ai plus l’âge pour ça.

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