Scène française

Interview de la chanteuse Maurane

Interview

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A l’occasion de la sortie de son nouvel album hommage à Claude Nougaro, Maurane s’est confié à Zikeo.net dans une interview pleine de nostalgie.

Cet album, c’est une belle histoire d’amitié, une frustration ?
Il n’y a aucune frustration, ça a été une belle histoire d’amitié. Cet album, je voulais le faire du vivant de Claude, parce qu’on était devenu très amis, jusqu’à la fin de ses jours. J’avais déjà évoqué l’envie de faire un album avec ses chansons. Il me charriait un peu, et en même temps il m’encourageait. Il a dit à tout le monde que j’étais sa légitime héritière, sauf à moi bien évidemment. Il était comme ça. L’idée est venue de sa femme, Hélène Nougaro, qui a voulu qu’on fête le jour de ses 80 ans, comme s’il était là. Symboliquement, ça me plaisait plus de souffler les bougies avec lui que de fêter l’anniversaire de sa mort. Je préférais fêter son vivant que sa disparition. L’idée m’a plu et c’est parti de là.

Il y a une chanson qui a déclenché quelque chose, vous étiez toute jeune à l’époque. En quoi est-ce devenu un mentor, en quoi cette chanson vous a-t-elle marqué ? Vous parlez de La mutation ?
La mutation est une chanson très étrange, qui dit « Je te connaîtrai une nuit, petite, sous un ciel plein de satellites. J’aurai les cheveux en queue de cheval, tu me prendras dans tes bras cerclés de métal. Tu seras l’homme et moi la femme, ça sera la mutation. » J’avoue que du haut de mes 10 ans, ça faisait bizarre. Je pense que ça a dû me choquer à l’époque. Je me suis dit « Quel homme étrange, de quelle planète vient-il ?! ». J’ai écouté cette chanson, et je ne peux pas vous dire que j’ai craqué sur elle à 10 ans, je ne comprenais même pas ce que ça voulait dire. J’étais interloquée par le personnage. Je me demandais qui c’était et d’où il venait. Je me suis rendue compte que mes parents avaient plein de vinyles de lui, c’est comme ça que je me suis mise à écouter ses chansons, à m’intéresser à ce qu’il faisait. J’ai joué à la groupie jusqu’au bout, je le coinçais à la sortie de ses spectacles, je lui remettais des cadeaux, des textes, mes chansons, des fleurs, des pralines, tout pour me faire remarquer. Mais ça n’a pas marché pendant longtemps, je me suis faite jeter comme une malpropre. Jusqu’au jour où, j’étais tellement tenace et opiniâtre, comme dirait mon papa, qu’il a fini par écouter cette cassette que mon père lui a remis en main propre. Mon père était le directeur du conservatoire de musique de Verviers. Il a écouté la cassette, et j’ai reçu une lettre, invraisemblable, magnifique, très nougaresque, bourrée de critiques mais super encourageante. Il me reprochait d’être un peu tordue, de ne pas aller vraiment vers les gens, de me regarder écrire. En même temps, il me disait qu’on sentait qu’il y avait quelque chose. Plus tard, on s’est rencontré pour de bon, on est allé diner après un de ses spectacles. Il s’est vraiment passé quelque chose, il s’est rendu compte qu’on n’avait pas mal de points communs, d’affinités, au niveau des goûts, des complexes, de la complexité. A partir de là, c’est devenu une belle relation. On se castagnait un peu aussi, avec les mots, pas avec les poings… Ce n’était pas toujours simple ni tendre, mais ça pouvait aussi être très tendre.

Dans cet album, chaque chanson est un peu une clé de la personnalité de Nougaro. On connait le caractère du personnage. Il y avait quelque chose de fulgurant. Il s’auto-congratulait quand il trouvait le bon mot. Il y avait de ça chez lui ?
Il s’auto-congratulait comme il s’auto-mutilait. Quand je ne savais pas où crécher à Paris, quand je passais dans un petit café théâtre qui s’appelle le Tire-bouchon, il m’a hébergé plusieurs fois chez lui. J’ai pris la température de sa maison. Je me souviendrai toujours d’un jour où il voulait attraper une bouteille d’eau qui était haut perchée sur l’armoire. Il monte sur un tabouret, redescend avec sa bouteille d’eau, et dit : « Je suis un nabot ». Il ne supportait pas sa taille, il pouvait être jaloux de certaines personnes. Un jour, en sortant d’un spectacle de Jacques Higelin, il était sur son lit dans sa chambre et m’a dit : « Alors, c’était comment Higelin ? », je lui ai dit : « C’était génial, sa manière d’occuper l’espace, son sens de l’improvisation… ». Il m’a répondu : « Oui c’est ça, c’est génial Higelin, c’est génial … ». Il n’aimait pas trop. Même s’il était plein d’admiration pour ces gens là, il avait une admiration sans limite pour Gainsbourg, il ne pouvait pas s’empêcher d’être un peu amer, un peu jaloux. Il y avait toujours quelque chose. Il fallait se le farcir. Le tout avec des grands moments de générosité, d’amour, d’amitié, c’était même parfois fusionnel entre nous. Je crois qu’il a assez vite compris que je n’avais pas un caractère tiède, et il m’a respecté assez vite. Je me suis aperçue assez tôt que les femmes l’impressionnaient beaucoup. Il les aimait, mais ne savait pas les aborder, et il était impressionné par les femmes. A un moment, quand il mettait en avant son côté macho, je ne lui ai pas dit « toi macho moi macha », mais presque. Un jour, il m’a demandé de lui recoudre un bouton, sur un ton ! « Tu sais recoudre un bouton toi. Il manque un bouton à ma chemise, tu vas me le recoudre. » . Je lui ai dit : « Tu sais Claude, je t’aime beaucoup, mais je ne suis pas ta bonne ». Il fallait toujours recadrer les choses avec lui, parce que si on se laissait faire, il pouvait nous écraser très facilement.

Qu’est-ce qu’il vous a apporté artistiquement ? Claude Nougaro a traversé le temps, connaissant des périodes un peu difficiles. Nougayork lui a permis de revenir, mais ce n’est pas la période que vous préférez…
Il m’a tout apporté. Je me suis reconnue à travers lui dans le côté excessif. Je suis une excessive. C’est tout ou rien. Je ne suis pas très nuancée, c’est tout ou rien. En ça, on s’est engueulé et entendu. Ça a pu nous séparer comme nous rapprocher. La première fois que je l’ai vu sur scène, je suis tombée par terre, tellement c’était fascinant. Sur scène, il mesurait 3m50, il volait, il avait une façon d’envoyer les choses… Je le trouvais sensuel, sexy, lui qui se prenait pour un nabot et pour un mec pas beau, il était super sexy sur scène, je le trouvais attirant. Il avait la poésie et la musicalité, la richesse des textes, des mélodies et des arrangements, il était toujours entouré de musiciens, tous plus extraordinaires les uns que les autres. J’étais sur le cul, quand je le voyais. Je pense que c’est un des artistes qui m’a le plus fasciné sur une scène. Il m’a donné envie de me pencher sur la littérature, la poésie, ma soif et ma boulimie de lecture me viennent un peu de lui, ma soif d’éclectisme dans la musique me vient probablement de lui, parce que là aussi, on a des points communs. Il avait un papa chanteur d’opéra, le mien était directeur de conservatoire. Il avait une maman pianiste, ma mère était pianiste. On avait plein de points communs, et à côté de ça, il aimait le jazz, la musique brésilienne, le flamenco, la musique africaine, tout. Je pense qu’il m’a vraiment sensibilisée à beaucoup de choses, beaucoup de genres différents.

C’est un challenge d’interpréter ses chansons, même si on ne dirait pas comme ça.
Quand Nougaro chante ses chansons, ça a l’air de couler de source. Il les personnalise parce qu’il a cet accent toulousain, sa rocaille, c’est inimitable. Quand il les chante, on se dit que personne d’autre ne peut les chanter, c’est tellement fort ! J’aime ses chansons, j’avais envie de les chanter. Mais après je me suis dit : « Je fais quoi avec ça ? ». Je n’ai pas l’accent toulousain. Une belge qui essaie de parler avec l’accent toulousain, ça ne le fait pas trop… Je savais qu’il m’estimait et qu’il m’aimait beaucoup, il me l’a prouvé jusqu’à la fin de ses jours, mais en studio, je me suis demandée comment il aimerait que j’interprète ça, comme il aimerait que je rentre dans telle ou telle chanson. A un moment, vous pensez juste qu’il est là, vous y allez de tout votre coeur, de toute votre âme, et vous vous laissez partir. Il ne faut pas se poser trop de questions. J’y suis allée à l’instinct.

J’ai cru comprendre que le titre de l’album s’imposait pour vous ? Vous parliez de frustration au début de cette interview, et c’est vrai qu’il y en a eu plusieurs.
On s’est raté sur le plan artistique, je ne sais pas pourquoi, on s’est trouvé sur le plan de l’amitié, ce qui est déjà formidable, mais on s’est complètement raté sur le plan artistique. Plusieurs fois, il a voulu m’écrire des chansons, on a faillit faire des duos. Il venait de signer avec le label Blue Note et il était en train d’enregistrer cet album dont il était super fier, évidemment. Il avait cette maladie, son cancer du pancréas, et il était très affaibli. Un jour, il m’a fait venir chez lui, à la maison, et m’a fait écouter une chanson, en me disant qu’il voulait vraiment la chanter avec moi. Il me fait écouter l’Espérance en l’Homme. Le texte et la musique, c’était incroyable. J’écoutais la chanson avec beaucoup de concentration, je l’ai aimé dès le début. Mais j’étais tellement concentrée que Claude s’est imaginé que je faisais la gueule. Après mon départ, il a dit à Hélène : « C’est fou, j’ai l’impression que la chanson ne lui plait pas ». Quelques jours après, comme il ne me rappelait pas, je me suis dit qu’il avait peut être changé d’avis, qu’il ne voulait plus que je la chante avec lui. Il ne me rappelait pas parce qu’il avait eu l’impression que je n’aimais pas la chanson. Une fois de plus, on s’est raté, parce qu’il est parti quelques semaines plus tard. Cette chanson est terrible. Parlait-il de cette vie ci, du monde qu’il espérait toujours meilleurs, ou est-ce un peu son testament ? C’est très double quand on la lit, il dit tellement de choses. C’est plein d’images, dans l’espace. On ne sait pas si c’est lui qui se projette dans une vie après, où si c’est ce qu’il espérait dans cette vie ci. C’est une chanson qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Elle sent la vie et la mort, c’est une façon de boucler la boucle. Pour moi, il était logique de l’appeler « Nougaro ou l’Espérance en l’Homme ». Pour moi, c’est tout lui.

Il avait le projet d’un opéra ? Oui. Claude était un peu branché sexe, on va dire.
Il m’avait écrit une très longue lettre, dans laquelle il m’a dit qu’il voulait écrire non pas un opéra bouffe mais un opéra touffe. En lisant sa lettre, je l’entendais me dire : « Je suis en train d’écrire un opéra touffe, dont je voudrais que tu sois une des lèvres« . C’était lui. Quand j’ai lu cette lettre, je ne l’ai pas tellement pris au sérieux, je me suis dit qu’il n’irait jamais au bout de ce truc là. Effectivement, il n’est jamais allé au bout. Il y a eu des tas d’amorces comme ça. Il y avait une musique que j’avais écrite et qu’il aimait beaucoup, sur laquelle il avait commencé à écrire un texte. Il l’avait appelé Ça va pas papa. C’était l’histoire d’un papa qui n’avait pas vu sa fille pendant très longtemps, il l’avait perdue de vue, et l’avait retrouvée. Il a commencé à écrire là dessus, et ça n’a pas abouti. Toute la partie artistique entre nous a été comme ça. A côté de ça, après être venu m’écouter plusieurs fois dans un café théâtre qui s’appelle le Tire Bouchon, à Montmartre, il est venu avec son agent, Jean Pierre Brun, et m’a dit : « J’aimerais te proposer une chose. J’aimerais t’insérer dans mon spectacle, te faire chanter 2-3 chansons de ta composition avec mes musiciens ». Encore une fois, vous imaginez ma tête ! Quand on a commencé à tourner ensemble, il me présentait comme une jeune femme qui n’a même pas 20 ans, qui est ceci, cela… Des compliments et j’en passe. Il y avait aussi des moments où il ne voulait pas voir ma tronche. Ça se passait moins bien… Un jour, il devait passer au New Morning, et je devais en être aussi. Ce matin là il était de mauvais poil, il avait décrété qu’il ne voulait pas chanter, « Je ne chanterai pas, je n’ai pas envie de chanter, je ne chanterai pas ». Tout le monde autour lui disait « Claude, tu as signé le contrat, ça ne se fait pas ». Finalement il chante. Il avait dit « Je ne présenterai pas cette connasse, je n’ai pas envie». Finalement il chante, et arrive le moment de me présenter. Il regarde le public et dit : « Maintenant, va débouler sur ce plateau une chanteuse, elle m’envoyait des cassettes de ses chansons à l’époque, et je lui ai dit que c’était très mauvais. Mais elle a fait des progrès. Maurane. ». Malheureusement pour lui, les gens ont super biens réagis. Ce n’était pas forcément dirigé contre moi. Je me suis aperçue que quand il faisait la gueule, qu’il n’était pas content – il était souvent dans des états dépressifs – c’est lui qu’il ne supportait pas, et non pas vous. C’était contre lui qu’il avait la rage, et du coup les boucs émissaires étaient partout.

Ça veut dire qu’il a vous a donné une force de caractère pour appréhender la scène ?
Ça a dû m’aider. Il m’a mis dans des états inimaginables de bonheur, et en même temps, il m’a bien fait flipper. Il n’y est pas allé de main morte. Il fallait toujours lutter, se faire entendre. Il ne fallait pas laisser passer les choses, surtout pas. Il ne fallait pas faire celle qui n’avait pas entendu. De temps en temps, je le recadrais, un peu comme quand on recadre un môme. Pareil. Un enfant.

Ce n’est pas seulement un album hommage. C’est aussi un spectacle, des concerts qui vont avec. Est-ce qu’il y a un souffre douleur en première partie ?
Pas un souffre douleur, j’ai de merveilleuses premières parties. J’ai Stéphanie Blanchoud, qui a un univers très poétique, une présence. C’est une comédienne au départ. Elle a une voix vraiment intéressante, elle fait passer des émotions très jolies. Une autre s’appelle Carine Erseng. C’est le contraire de Stéphanie. Elle a la pêche, une sorte de gouaille, elle fait de la chanson un peu manouche, avec beaucoup d’énergie et de peps. Jusqu’à présent, j’ai eu ces deux premières parties. J’ai entendu parler de Catherine Major, qui est une artiste québécoise, j’ai écouté son disque, et c’est à tomber de talent. J’ai des premières parties qui ouvrent toutes les portes pour moi. Elles collent assez incroyablement à l’univers de Nougaro. Il faut faire attention à ça. On m’a proposé d’autres gens, mais je me suis dit que ça ne collerait pas. Je ne peux vraiment pas me plaindre, ce sont des filles comme ça !

Comment se passe le spectacle ? Je crois que vous aviez des idées assez précises ?
On est 5 sur scène, il y a un quartet. On a pris une option Middle Jazz, finalement. On s’est dit qu’il n’y avait pas les cuivres et les cordes, qu’on n’allait pas essayer de faire une formation bizarre avec une trompette… On s’est dit : basse, batterie, guitare, piano. Le bassiste joue merveilleusement de la contrebasse. Le pianiste est aussi directeur musical, il joue plein de trucs. Le batteur joue aussi du cajon. Ce sont des mecs qui ont une vraie pêche sur scène, ils font passer plein de choses. On s’est dit qu’on allait faire quelque chose de simple « 3, 4… » et on y va. Pas de fioritures, pas de décor. J’ai une chaise, à laquelle je m’adresse parfois. Je parle à ma chaise. Ma chaise me répond mais les gens ne l’entendent pas ! Ça se passe super bien. Je pense qu’on a eu raison, d’opter pour la simplicité. Je raconte aux gens exactement ce que je suis en train de vous raconter, mon histoire avec Claude. Les hauts, les bas, les moments de fusion, de séparation, les querelles… C’est vraiment ça, entrecoupé de toutes ses chansons, 21 chansons de Claude. Pas une personne me demande une de mes chansons pendant le spectacle, en rappel, on ne demande que des chansons de Claude. Je suis avec Nougaro, et ça va durer toute ma vie. Je dis toujours que je suis tatouée au Nougaro.

LES ALBUMS DE MAURANE SONT DISPONIBLES ICI

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