pop-rock
Interview Manu Katché
One Shot Not : Interview Manu Katché
Pour la prochaine émission de One Shot Not, diffusée le 18 avril 2009 à 23h15 sur Arte, seront présents sur scènes : Izia, Bloc Party, Cheick Tidiane Seck, Cirkus, The Asteroids Galaxy Tour et Bertrand Burgalat. A cette occasion, Zikeo.net vous propose une présentation de cette émission musicale phare par son présentateur vedette : Manu Katché.
Pouvez-vous nous présenter l’émission One Shot Not et son concept ?
One Shot Not est une émission musicale remplie d’artistes de tout genre. Je ne suis pas très fan des clivages, j’aime bien mélanger tous les genres. Il n’y a pas de musique classique. Il y a eu des expériences jazz-classique, rock-classique, et ça n’a jamais été terrible. A part de la musique classique, j’essaie de représenter tous les styles. Le concept est assez simple. Il s’agit d’inviter des gens de tous styles, de les faire se rencontrer sur un même plateau pendant une journée. Ils évoluent de la manière dont ils ont envie d’évoluer. Il n’y a rien d’imposer musicalement. Ils font ce qu’ils ont envie de faire, ils jouent ce qu’ils ont envie de jouer, à la manière dont ils ont envie de le faire. Ils peuvent n’utiliser que des machines. S’ils veulent que je participe à la répétition du morceau, je peux le faire à la batterie. Ensuite, on suit l’artiste toute la journée, avec des interviews. Alice Tumler, qui co-présente l’émission avec moi, leur pose des questions. On apprend à se connaitre. Il y a des invités qui ne me connaissent pas, ou qui connaissent vaguement mon nom. Il y a donc une prise de contact assez intéressante. On se retrouve tous, le soir, sur le plateau et on regarde la performance des autres. Ce qui est très intéressant, c’est le regard des autres sur les performances. C’est très rare. Moi j’ai fait beaucoup de lives avec de nombreux artistes présents sur place. A ce moment là, ils étaient supers excités de se rencontrer. D’un seul coup, une sorte de passion et d’envie passe entre chacun d’entre nous. C’est très fort et puissant. C’est l’essence même de la music industry. C’est ce qui m’a donné envie de faire cette émission.
L’une des particularités de l’émission, sur le modèle de Jools Holland à la BBC, c’est que vous êtes actif. Vous n’êtes pas seulement présentateur mais aussi musicien. Vous jouez avec les artistes invités. Pourquoi ce choix ?
Je veux bien qu’on fasse un parallèle avec l’émission de Jools Holland, qui existe depuis quinze ans maintenant. J’ai été élevé à ça. J’ai aussi été élevé à « L’écho des bananes », « Les enfants du rock »… C’est vraiment important que dans le paf il y ait de la musique live. Ce qui m’intéresse, c’est d’où je viens. Je ne suis pas présentateur, ni animateur à la télé. Mais la télé m’intéresse. Je trouvais qu’avec plein de caméras et du montage, on pouvait avoir quelque chose qu’on ne peut pas forcément avoir à l’oeil nu. Le travail de Jools est assez fantastique, parce qu’il a réussi avec une scène relativement underground à nous montrer plein d’artistes sous des angles différents. Je me suis donc inspiré de ça. Et en étant musicien, c’est beaucoup plus simple de proposer à des musiciens de venir faire l’émission. Certains me connaissent. Me connaissant, un contact direct se crée. Eux avaient envie de me rencontrer, pas forcément pour jouer ensemble, mais pour passer un moment ensemble. Quand on se retrouve sur un plateau, il y a une vraie envie de participer. C’est très simple d’aller plus loin et de proposer qu’on fasse un morceau ensemble. Je ne suis pas présentateur et je ne me reconnais pas en tant que présentateur. Pour cette raison, Alice Tumler m’accompagne. Elle est polyglotte, elle peut faire des interviews dans toutes les langues. Elle est très brillante. Ça me permet de me décharger de ça. Je suis principalement concentré sur la musique et les artistes présents.
Pourquoi avoir choisi le nom One Shot Not ? C’est un engagement ? C’est militant ?
Non, ce n’est pas militant. C’est un jeu de mot. En anglais, il y avait cette blague où on voit une jeune fille de loin et on dit « She’s beautiful » et à la fin, on rajoute « not », parce qu’elle est très moche. « One shot », c’est parce que c’est une fois. Les invités sont ensemble une fois seulement sur une émission. Le « not », c’est pour imaginer que ça se reproduira.
Parlez-nous un peu de la programmation. Comment choisissez-vous les artistes qui vont être présents ensemble ?
C’est une vraie association d’artistes que vous recherchez. C’est un puzzle. Julie Cruet m’aide sur la programmation. Elle a passé beaucoup de temps en Angleterre, et c’est une bible de la musique anglo-saxonne. Moi j’en connais certains mais pas tous. Je suis plus jazz, soul, RnB. On mélange les genres tous les deux et on se fait des propositions. Ensuite, n’oublions pas qu’on tourne deux jours tous les deux mois. On a deux jours imposés, on n’a pas un plateau à demeure sur lequel on peut tourner quand on veut. C’est donc plus difficile selon l’emploi du temps de chacun. Généralement, on décide d’un artiste principal. On se renseigne s’il est libre à ces dates là. Puis on essaie de programmer autour des gens qui ont une vraie corrélation. Pas forcément musicalement, mais dans les interviews qu’ils ont pu donner, s’ils ont parlé de cette personne, s’ils y ont fait référence, s’ils ont envie de faire certains essais musicaux proches de l’invité principal. Il y a une vraie cohérence dans les invités. On peut se dire à prime abord que c’est bizarre, par exemple, il y a Richie Havens et Friendly Fires. Mais non, il a un moment où ça se rejoint. Ce n’est pas simplement gratuit, parce que tel artiste est libre ce jour là. La programmation est assez compliquée parce que ça tourne autour d’un artiste. Au delà de ça, il y a deux jours de tournage. Donc si ces gens ne sont pas libres ces jours là, on est embêté. Et on sait que l’artiste peut annuler au dernier moment, ça nous est arrivé. Et là on est vraiment dans la merde.
Vous parliez de défendre la langue française. Vous avez déjà fait de la chanson française, il y a quelques années. On va faire un petit jeu. Je vais vous donner quelques noms de gens avec qui vous avez collaborés. Vous me dites assez spontanément ce que ça vous évoque comme souvenir. Michel Jonasz ?
Ce sont mes débuts, j’y ai pris beaucoup de plaisir. C’est dommage qu’il n’existe plus beaucoup aujourd’hui. On l’a un peu perdu mais c’est un monsieur très bien. Il écrit extrêmement bien. J’ai travaillé avec lui pendant six ans. Musicalement, c’est un blues man, issu de cette école Ray Charles, mais plutôt blues. Hongrois. Et l’écriture des textes est très profonde, avec de très belles images, comme aurait pu le faire des gens comme Cabrel et autres. Quand on parle de la nouvelle chanson française, il y a des très bons artistes, et d’autres qui sont un peu pipo. Je trouve que c’est dommage qu’on ne voit pas plus ce mec aujourd’hui parce qu’il a vraiment apporté au niveau de l’écriture des textes quelque chose de très particulier et de très riche. Je garde un très bon souvenir de Michel.
Laurent Voulzy ?
Laurent Voulzy est mon pote. L’histoire est simple. Je commençais mon métier. Je devais avoir 18 ou 19 ans, j’habitais en banlieue Est, comme lui. J’allais dans un studio pour la première fois faire de la batterie pour je ne sais plus qui. J’étais venu, j’avais emprunté une batterie à un copain. Je finis ma séance et je sors du studio. J’ai vu une petite Austin, avec les portes à rallonge. Je reste totalement médusé, je la trouve super jolie. Un type arrive et me dit « Tu la trouves jolie ? ». Moi je la trouvais super belle, elle était vert bronze, vraiment très jolie. Il me dit « Et bien c’est la mienne ». C’était Voulzy. On a discuté, on a fumé des clopes à côté de la voiture et on est devenu potes. Ce qui est drôle c’est qu’on a mis un long moment avant de pouvoir jouer ensemble. J’ai fait des albums avec lui bien entendu, en studio. Mais je n’ai jamais pu faire de tournée. J’étais à droite et à gauche. Sur l’album « Avril », on a vraiment pu tourner ensemble sur une longue période. On se connait bien, on s’apprécie énormément. C’était vraiment jouissif, comme deux potes qui se retrouvent et qui peuvent faire de la musique ensemble. C’est quelqu’un de spontané, de très généreux et de simple. Je l’aime énormément. Il continue dans cette espèce de délire d’ado qui s’est installé partout en France, et même en dehors des frontières. Et ça plait beaucoup. J’en suis ravi, il n’est pas né d’hier mais il a toujours la même fraicheur dans ce qu’il écrit, quand il chante et quand il joue. C’est une belle leçon d’humilité et de passion.
Francis Cabrel ?
Francis Cabrel est aussi une jolie rencontre, un peu plus tard, sur « Sarbacane ». Je disais que l’écriture de Jonasz était assez pointue et profonde, riche en émotion. C’est aussi vrai pour Francis Cabrel. Peut être plus dans les images. Des images s’associent à son superbe accent et vous font penser à des choses. Ça joue plus sur les souvenirs personnels de chacun. Ce que j’aime, au-delà de l’écriture des textes, c’est l’écriture musicale, ce côté Jackson Browne. Il l’a un peu perdu dans le dernier album, qui est un très joli album mais un peu plus variété. Ce n’est pas péjoratif. Les autres avaient une sensibilité un peu plus folk. J’ai travaillé sur ces albums là en collaboration à la batterie. Je trouvais qu’il y avait quelque chose de Jackson Browne, du folk un peu américain, à la sauce Cabrel du Sud Ouest. C’était vraiment une particularité. Ça fonctionne très bien et il a beaucoup de succès. Je n’ai jamais joué sur scène avec lui, on n’a jamais fait de tournée ensemble. On a failli mais ça n’a pas pu se réaliser. Je ne le regrette pas mais je pense qu’on se serait bien marré. Il a une vraie facilité et un vrai plaisir. Tous les gens dont on a parlé jusqu’à présent sont aussi des musiciens, ce sont tous des auteurs compositeurs interprètes, des gens qui jouent d’un instrument de musique. Du coup, il y a une vraie relation entre side men et artistes, ce qui n’est pas le cas du mec qui attend qu’on envoie l’accord pour pouvoir poser sa voix. Eux sont des gens qui savent de quoi ils parlent. Il y a une vraie corrélation avec tous les gens qui sont autour et c’est très important.
Vous parlez souvent de la scène et vous avez fait de nombreuses dates cette année. Est-ce que c’est aussi One Shot Not qui vous a redonné le gout à la scène, l’envie de remonter sur les planches.
Je fais beaucoup de scène parce qu’on ne peut pas être artiste, musicien, acteur sans parler de scène. C’est la vibration la plus importante qu’on puisse recevoir. Quand on est en studio c’est génial, on est entre nous avec un producteur. On fabrique quelque chose mais le regard extérieur n’existe pas. Il existera quand la chose sera commercialisée. Le public est imminent. Cette immédiateté m’excite énormément. J’ai commencé comme ça. A dix ans je faisais des récitals de piano. Je connais bien et j’aime beaucoup. J’ai besoin de cette adrénaline. C’est peut être une dope. Tous ces gens là on cette dope là en eux. Je ne pense pas que ça vienne de One Shot Not. J’avais déjà décidé à la fin de la tournée de Sting en 2000 de changer de direction. J’ai fait de la télé un poil populaire, j’en suis ravi parce que ça m’a aidé à faire ce que je fais aujourd’hui. Mais au-delà, la télé populaire m’a surtout aidé à programmer ces 150 dates de concert cette année. Ça m’a permis de vivre, de commencer à rechercher des musiciens. Aujourd’hui, j’ai fait 150 dates et je suis ravi. On a eu des publics très chaleureux. Souvent ça se terminait debout, standing ovation. Il est très difficile d’exprimer avec des mots ce que j’ai ressenti. C’est très fort. Dès qu’on est artiste, c’est pour cela qu’on est fait. On a besoin de la scène pour pouvoir aller plus profondément en soi, pour chercher les choses et ensuite rebondir et avancer. Je ne peux pas dire que le fait d’avoir fait One Shot Not m’ait donné envie de faire de la scène. Ce sont deux courants qui se sont trouvés de fait au même moment.
Vous évoquiez La Nouvelle Star. Est-ce que cette émission vous a amené un nouveau public ou ça s’est estompé au fil des mois ?
J’ai fait La Nouvelle Star pendant quatre ans. Je n’avais jamais fait de télévision. Je ne suis pas quelqu’un qui crache dans la soupe. Quand je prends des décisions, c’est pour les bonnes raisons. Les bonnes raisons c’est que je n’avais jamais fait de télévision et que ça m’intéressait. Je voulais découvrir ce milieu. Il y a plein de choses qui me servent aujourd’hui, du fait d’avoir fait cette émission. J’ai appris à être synthétique, dire quelque chose en peu de mots, de manière précise et directe, pour que la personne en face, qui n’a pas forcément la même culture, puisse comprendre aisément. Un autre point important, c’est que le monde commence à changer aujourd’hui, avec l’élection du président américain. A l’époque c’était quelque chose qui me concernait, un mec de couleur qui passe à 20h30, en prime time, qui s’exprime avec une vraie profondeur, un vrai discours et une vraie analyse. Pour moi, ces trois paramètres étaient importants. Ces gens ont fait appel à moi. Je suis ravi qu’il l’ait fait. En tant que professionnel, je pense que j’ai fait ce que j’avais à faire. J’étais content de rencontrer de jeunes talents, et de leur donner un petit coup de pouce. Certains s’en sortent plutôt bien aujourd’hui. Ça m’a surtout appris la manière de se comporter devant une caméra, la manière d’exprimer ce qu’on ressent. Moi je suis un batteur, j’exprimais la plupart de mes émotions avec ma batterie. Avec des mots c’est plus compliqué. On peut se tromper. J’étais assez ravi de ça. Ensuite, comme je vous l’ai dit, j’ai fait 150 dates cette année, avec principalement des théâtres nationaux. Les théâtres nationaux programment et ils ont l’habitude de leur public. Ces gens là se mettent à la porte au début et à la fin du spectacle, pour ressentir ce qui s’est passé dans le public. On a discuté, et à chaque fois c’était la même chose. Les aficionados du jazz étaient là. 30% du public était inconnu. Je subodore qu’il y a 30% de gens qui ont du me voir à la télé, se dire que j’étais intéressant. C’est ce qu’il ressort des discussions que j’ai pu avoir avec les gens, quand je signe des autographes. Les gens sont curieux et je pense qu’à partir du moment où on va vers eux, il y a une vraie réponse. La preuve en est, parmi les dates françaises que j’ai faites cette année, il y avait un public pas habitué à aller voir du jazz. Mon jazz n’est pas très pointu, il est assez lisible et accessible. Ce sont des petits morceaux, comme des structures de chansons pop. Ils durent cinq minutes maximum. Contrairement à la base même du jazz et des thèmes, qui peuvent durer de douze à vingt minutes. Ce n’est pas mon cas. Il y a une vraie fraicheur et une visibilité dans cette musique instrumentale, qui a permis à ce public non connaisseur de pouvoir apprécier cette musique là. Peut être que la prochaine fois ils iront un peu plus loin, un peu plus en profondeur, et découvriront d’autres styles jazzistiques. .
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