Scène française
Interview Lara Fabian
Interview
Voici enfin la suite et la fin de l’interview de Lara Fabian que Zikeo.net vous a fait découvrir tout au long de cette semaine, à l’occasion de la sortie de l’album « Toutes les femmes en moi ».
Est-ce qu’il y avait une pression particulière pour l’enregistrement de l’album, dans le sens où ces interprétations ont marqué le temps ? On arrive là, il ne faut pas trahir le propos mais se l’approprier ?
Exactement, ne pas trahir le propos, se l’approprier, en ça il peut y avoir une dichotomie étrange, ça peut être compliqué à réaliser. Ce que j’ai fait pour ça, pour m’éviter le problème « gardien du temple », puriste, j’ai pris un garçon qui n’est pas Français, qui n’a pas vécu avec cette mémoire collective et qui n’avait pas l’impression d’entrer dans du sacré quand il les a remaniées. C’est un Anglais qui n’était pas familier avec ce répertoire même s’il connaissait bien sûr Piaf ou Véronique Sanson. Il m’a dit « Pour moi ce sont de grandes chansons que tu as choisies et je vais essayer de restituer avec le plus de modernisme, de vision de notre époque, ce que ces chansons auraient pu être si on les avait écrites et produites aujourd’hui ». C’est comme ça qu’on est parti.
Comment s’appelle cette personne ?
Ce mec s’appelle Simon Climie et c’est un garçon qui a produit des albums formidables, pour Eric Clapton, Aretha Franklin, Michael McDonald, Eternal … Il a vraiment fait des choses un peu spéciales. Quand il a affaire à quelqu’un pour les violons, il travaille avec la même personne pour tous les violons de Massive Attack. Il a vraiment une vision très moderne de la musique, quelque soit l’endroit où on la transpose. Pour lui, prendre Göttingen et la rendre lounge, presque hip hop, ce n’est pas un problème, il ne s’est pas demandé s’il allait commettre un impair. Il a tenté de traduire avec ce scénario musical ce qu’il a ressenti dans les fibres de la musique de cette chanson, sans comprendre vraiment le texte. A chaque fois il me demandait « Lara, qu’est-ce que ça veut dire ? Dans quelles circonstances elle les a écrites, pourquoi ? ». On a eu des conversations formidables, qui nous ont permis de tailler la musique sur mesure, en sachant qu’on est en 2009 et que pour moi le code d’appel, là où j’ai été intransigeante, c’est que ça devait être urbain et gospel.
C’est de la musique noire aujourd’hui ?
Oui effectivement ! de la musique noire où de grandes femmes et de grandes chansons existent. Pour revenir au dossier « puriste », qui est un peu chaud, si on regarde Gilda, c’est une femme absolument splendide. Si cette femme était née aujourd’hui, si elle avait 25-30 ans aujourd’hui, elle ferait partie des canons de beauté quoiqu’il en soit, elle serait née avec les mêmes traits, la même mensuration et la même flamboyance, le même charisme. Sauf qu’elle serait habillée en Dolce & Gabbana haute couture et peut être pas avec les robes qu’on faisait à l’époque pour ces femmes là. Mais ça serait toujours encore une sublime femme. Ces chansons me font penser à ça, à de sublimes femmes qui ont trouvé un nouveau couturier en la personne de Simon Climie et tout à fait humblement un instrument qui les restitue comme je l’ai fait avec ma voix.
Est-ce que Simon Climie a saisi le côté intemporel de ces chansons, lui qui est anglo-saxon ? Il a senti pourquoi c’était des chansons importantes ?
Bien sûr. Un Américain aurait peut être eu plus de mal mais un Britannique, qui a inventé la pop, les Beatles, les Rolling Stones et j’en passe, ces gens ont une conscience de la densité musicale infiniment supérieure à celle des Américains. Je ne suis pas certaine qu’un Américain aurait pu le faire. Mais un anglophone Européen avait plus de chance de comprendre le sens intemporel de ces mélodies. C’est la première chose qu’il m’a dite. Par exemple, après voir écouté Il venait d’avoir 18 ans, il me dit « La structure mélodique est insensée, c’est une des plus grandes chansons que je n’ai jamais vue ». Pour lui, cette structure harmonique était de l’ordre du divin. On a avancé comme ça, en vivant avec énormément de plaisir la redécouverte de ces chansons, dans un monde qu’on peut étiqueter de 2009.
Est-ce que vous vous êtes préparée particulièrement dans l’idée de se mettre dans un cocon, on a cette idée quand on écoute l’album ? Est-ce que vous vous êtes mis dans une circonstance particulière pour enregistrer ces chansons ?
C’est amusant que vous me disiez ça parce qu’on n’est pas sorti d’un endroit précis, qui est chez lui, dont je ne peux pas vraiment en parler. Mais c’était une maison, avec à l’intérieur un studio, dans un endroit unique duquel on n’est jamais sorti pendant trois mois. Si vous l’avez ressenti, c’est drôle. Il faut être très sensible pour ça. Il a voyagé, a été à L.A pour certaines choses, à Londres pour d’autres mais lui et moi pendant qu’on élaborait ces chansons là, n’avons jamais bougé du même endroit, et on était très bien.
Cette lettre pour chacune, c’est la suite de cet hommage mais en explication, plus comme une déclaration d’amour !
Oui, c’est plus une façon de dire à quel point je les respecte, je les admire, je les aime. C’était aussi une manière de raconter l’évènement, ou l’élément déclencheur. Ces lettres au départ leur étaient destinées exclusivement. Elles ne devaient pas figurer sur la pochette de l’album. Et tout le monde m’a dit « C’est bête Lara, elles racontent tellement bien l’histoire ». Une fois qu’on lit, on comprend pourquoi. Donc elles ont fait l’objet du recueil, à la place du recueil de textes, il y a un recueil de lettres.
Vous avez composé et écrit une chanson qui vient faire le lien de toutes ces reprises ?
C’est un peu le corolaire, une ode à la femme sans féminisme aucun. C’est une façon de dire à tout le monde, un peu en filigrane, à quel point la femme a une place dans la société qui est à la fois à protéger et à encourager. Si je dis ça, ce n’est pas parce que nous n’avons pas la place aujourd’hui que nous devrions avoir. On l’a bien prise, tellement prise que parfois on a fait peur aux hommes, mais pour la plupart on s’est embourbée dans d’autres carcans, d’autres prisons comme le féminisme, qui je pense nous a fait beaucoup de mal. Mais j’ai le sentiment qu’on ne mesure pas toujours l’importance de cette mise au monde de l’humanité au travers d’une femme. Parfois, c’est un peu pris pour acquis comme dans l’amour. Je pense qu’une femme est un être rempli de clémence et de tolérance, doté d’une faculté de pardon extraordinaire, et qui je vous l’accorde peut être très tordu, très compliqué. Un homme se perd dans ce dédale de pensées. Cette chanson est une ode à cet aspect de sa personnalité, un peu divin, un peu particulier.
Dieu est une femme ?
C’est presque ça. Je le dis, « Dieu est une femme c’est sûr ». Mais si vous avez écouté le reste, je dis « »Dieu est une femme c’est sûr, elle nous pardonnera ». En fait, dans ma façon de le dire, il y a presque une question. Parce qu’il y a quand même une foule de choses presque impardonnables qu’on se fait les uns les autres que seule une femme, qui a mis au monde cet humain qui génère cet acte, peut pardonner. C’est en ce sens que je pose la question, je ne le déclame pas. Je ne l’affirme pas, je pose la question.
Au-delà de cet album, tout un spectacle est né.
Ce sont les prémisses, la naissance de ce moment où l’on s’assied avec la liste de chansons, une partie de cette collection existe en anglais, en italien et en espagnol. C’est ma triple culture qui veut ça, je suis née d’une maman italienne et d’un papa belge. Mon grand père était américain. Je suis née en vivant en permanence avec ces trois là, l’italien, le français et l’anglais. J’ai été baignée dans cette musique. A l’intérieur de ce spectacle, on retrouvera ces trois langues, qui rendent hommage à ces femmes de toutes ces cultures. Certaines de mes chansons existent parce que ces autres femmes et ces autres chansons existent. Et deux trois clins d’oeil à mon enfance, parce que j’avais vraiment envie de retomber en enfance l’espace d’une dizaine de minutes. Je fais un énorme clin d’oeil à mon enfance dans ce spectacle. C’est un spectacle qui se veut plus théâtral qu’un alignement de chansons, et on emploiera une technologie très particulière pour faire revivre des êtres qui ne sont plus forcément avec nous ou qui auraient envie d’être sur scène mais qui ne peuvent pas partir en tournée. Il y aura des moments d’image assez forts, qui raconteront l’histoire bien mieux qui moi. Une image vaut mille mots.
Que ce soit en Italie ou aux Etats-Unis, l’idée est de transporter cette culture ?
C’est ça, l’idée est de traduire cette culture, de la transporter un peu. On l’a vu avec le film de Dahan, Piaf est devenue presque culte aux Etats-Unis du jour au lendemain, alors qu’on n’en avait que quelques effluves de « La vie en rose » et de ce qu’elle avait laissé comme histoire d’amour avec Cerdan. Le pouvoir de l’amour avait traversé l’océan et était resté dans l’esprit des gens. L’idée avec cet album est de faire connaitre à d’autres peuples et cultures ce legs extraordinaire que représentent toutes ces femmes.
Vous qui avez voyagé, qui avait chanté en anglais, le français va au delà de l’exotisme. Qu’est-ce qui peut plaire à ce point ?
Il y a quand même une connaissance de la chanson française depuis Gainsbourg, des gens qui se sont retrouvés au Japon, et qui sont moins connus en France. Comment peut-on expliquer cet amour pour cette langue ? Je crois que c’est une affaire de contenu, d’une part, même s’ils ne le comprennent pas. Une affaire de richesse intrinsèque, on n’a pas besoin de comprendre, c’est un peu comme l’opéra. C’est ce sentiment que j’ai, et à la fois un sentiment de légèreté. Ce que le français amène d’exotique pour eux, qui ne l’est plus pour nous, c’est quand ils voyaient débarquer une Dalida avec ses robes or et ses cheveux flamboyants, ou une Piaf avec les points serrés, ce visage rempli de souffrance qui traduisait en même temps l’espoir, je pense que ça les faisait rêver. Cela les sortaient de ce côté étudié, aseptisé. C’est l’authenticité, qui se ballade entre contenu et légèreté, qui fait que les Français sont à ce point plébiscités à l’extérieur.
Est-ce qu’à votre tour, vous qui parlez de passeuse, vous vous sentez une passeuse et si oui de quel ordre ?
Maintenant que vous avez ce contact avec les gens, ça fait quinze ans… Je suis trop petite encore. Vraiment, je le dis comme le dirait une enfant, comme pourrait le dire une petite fille en regardant sa mère. « Tu sais je suis trop petite maman ». Je suis vraiment trop petite.
En quoi seriez-vous une passeuse ?
Si je devais l’être un jour, je pense dans ce qui les unit toutes, cette volonté de n’être que moi, même si ce n’est qu’être parfaitement imparfaite. C’est accepter nos limites tout en les sublimant parce qu’on a la détermination ou la foi de les sublimer. J’ai une foi immense en la vie. J’ai un soleil qui me précède tous les jours. Ce n’est pas juste être positif pour être positif. Ce n’est pas l’aspect « surfaciel » de l’enthousiasme. C’est vraiment un enthousiasme profond pour la vie parce que je pense que c’est la plus belle chose qui nous est donnée. Le bonheur doit être un devoir. C’est une action et non pas un accident. Le bonheur, il faut en faire un peu tous les jours. Si je devais résumer, si je pouvais être passeuse de bonheur un petit peu tous les jours vers les autres, ça serait la plus grande réussite de ma vie.
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